Cher Gilles,
 
Samedi, c'était la Toussaint. Alors, j'étais très heureux d'avoir embarqué à mon bord, un équipage, même réduit de deux navigateurs, dont un que tu avais suivi pour le nommer chef de bord.
J'ai pensé à toi, qui m'avais entretenu, bichonné, avec ma copine Sirénade. Certes, je commence à accuser quelques milles au compteur, mais je reste bien vaillante et j'ai décidé de taquiner mon petit équipage.
Tu sais, dans Mer Amitié, il y a Mer, et Amitié. Les deux loustics embarqués ne se connaissaient pas, mais la magie de la promiscuité de mon bord, leur a permis de faire connaissance et de partager deux belles journées. Mais après l'Amitié, il y a la Mer, et là, j'avoue que je souris encore....
D'abord, toutes les heures, le cross Jobourg annonçait un avis de grand frais pour le lendemain, avec un ton neutre et martial, qui te donne envie de rester au port. Tu aurais vu ces deux marins, dont surtout le chef de bord, se connectant à Metéo Consult pour vérifier l'évolution de cet avis de grand frais. Tu devais bien rire de là haut.
Samedi, ils m'ont revêtue de toute ma garde robe. Ils ont sorti ma robe de soirée orange, pour vérifier son gréement. Mais tu sais bien, toi, que cette robe orange, est particulière et qu'il faut sans doute les mains expertes de Gabriel, pour l'ajuster. Mes deux marins ont constaté leur échec, et l'ont repliée avec beaucoup de soin.
Le soir, avant l'écluse de Ouistreham, je les ai promenés dans la baie de l'Orne, superbe avec son éclairage du soir orangé. Ils sont allés loin dans cette baie ou je vais rarement. J'étais heureuse de filer dans le silence, devant Salenelles.
 
Dimanche, mes deux compères se sont levés tôt, et ont préparé leur sandwich. Pour l'écluse de sortie, ils prennent l'horaire du Marin Breton, tu sais, ce livre avec tout un tas de maximes rigolotes. Sauf que l'horaire de sortie du livre, n'est pas le bon.... Ils voulaient prendre la dernière écluse, et tu aurais vu l'inquiétude du chef de Bord, qui se demandait s'il ne l'avait pas ratée, cette dernière écluse. Il avait vite calculé que si l'écluse avait été ratée, ils étaient bons pour une nav'de nuit jusqu'au Havre Dimanche soir... Il appelle fiévreusement l'éclusier sur le 74, qui lui annonce une prochaine écluse dans une heure et quart.... Ouf....
 
Les bons horaire des écluses, c'est sur le site Internet du port...mais ça, ils ne le savaient pas.
 
Tu sais, ils m'ont préparés avant de partir. J'étais bien bien rangée. Ils m'avaient même préparé le ris n°3. Dans l'écluse, il n'y avait que moi. J'avais de la place et j'étais très fière de montrer que même avec ma petite taille, j'allais rejoindre ma copine la mer.
Sitôt sortis, ils tentent de me propulser avec un ris n°2, et là, je leur ai fait une première farce avec mon copain le vent. (A moins que ce soit toi qui voulait les taquiner). Voilà qu'ils partent au tas. Prudemment, ils réduisent  encore ma voilure au ris n°3. Me voilà peu couverte, presque en bikini, avec une GV fortement réduite, et un génois roulé en partie. Ils n'ont pas osé le topless, heureusement, j'en aurais rougi.
 
Je filais mes sept noeuds et demi. C'était sympa.
Je voulais rincer aussi mon pont et mes voiles, alors mes deux marins ont dû sortir leur capuche quand une averse leur est tombée dessus.
 
J'étais tellement en forme, que je serais rentrée trop tôt au Havre. Alors, ils m'ont fait faire du rab, en se détournant vers Deauville, puis me faisant de nouveau traverser la zone d'attente des cargos. Là, je les ai secoués un peu. La houle était bien formée et dans un surf, j'atteignais les 10 noeuds et demi.
J'ai même fait la course avec un cargo, dans le chenal. J'ai perdu mais j'étais contente d'avoir ramené mes deux marins à bon port, et d'avoir pu te dédier ce week-end. Tu ne viendras plus me nettoyer les fonds à Rouen, ni former de futurs seconds, mais je sais que là où tu es, tu veilles sur ta famille. Prends soin d'eux!
 
Quant à nous, ma copine Sirénade et moi, d'autres personnes prennent bien soin de nous, je le sens bien. Ne t'inquiète pas.
 
Philippe.